lundi 11 juillet 2011

Hommage à Roland Petit


Roland Petit, un aristocrate du ballet

Le chorégraphe et danseur, créateur des Ballets de Marseille, s'est éteint dimanche matin à l'âge de 87 ans. Une leucémie l'a foudroyé en quelques jours alors qu'il se trouvait chez lui, à Genève.

Quand je vois des danseurs qui, à 45 ans, se mettent à la chorégraphie parce qu'ils arrêtent de danser, j'ai envie de leur dire : «Mes chéris, si Mozart avait commencé à faire du piano à 45 ans, on aurait été bien embêtés : il est mort à 38 !», disait Roland Petit. À elle seule, cette pirouette résume tout le chorégraphe : humour, sens du récit et un goût immodéré pour le devant de la scène : «Je peux prendre mon pied en dansant tout seul, mais la scène ajoute le silence pendant et les applaudissements après.»
Un talent précoce. La danse, Roland Petit la découvre à Villemonble où il danse très sérieusement dès que la fanfare sort ses cuivres. Il n'a pas 4 ans. Le départ pour les Halles de Paris où son père ouvre une brasserie, Au Massif Central, n'y change rien. En vain ses parents l'envoient-ils oublier l'entrechat deux ans en pension chez les frères de Saint-Nicolas d'Igny : «J'avais vu tous les films de Fred Astaire, alors vous comprenez  !», disait-il. De guerre lasse, son père l'inscrit au concours d'entrée du Ballet de l'Opéra de Paris : son fils sera danseur s'il arrive dans les trois premiers. Roland arrive second. Lifar le trouve grand, crée des rôles pour lui, mais Roland a d'autres appétits. À 16 ans, en 1940, il signe sa première chorégraphie, une pièce pour sa camarade Janine Charrat. Elle est connue pour avoir joué dans le film La Mort du cygne, et lui, déjà, trouve son inspiration dans l'éclat des étoiles. Ses parents désormais ne jurent que par la danse : Edmond, son père, met de sa poche pour payer l'orchestre Salle Pleyel. Et convie, comme le public est rare, tous les bouchers et maraîchers des Halles, qui lui font une ovation. Sa mère, Rose Repetto, ouvre, rue de la Paix, la fameuse maison de chaussons qui porte encore son nom.

Esprit Diaghilev

La recette de Diaghilev. «L'Occupation était terrible, mais il y avait un avantage pour moi : tous les artistes vivaient à Paris, qui était comme un village. On croisait tout le monde : à moi, la culture, la musique, la peinture, la sculpture, l'écriture et la danse !» Au Massif Central, Cocteau, Sauguet, Bérard, Laurencin, Larionov et Gontcharova déjeunent parmi les forts des Halles, heureux de la cuisine providentielle d'Edmond. Parmi ces artistes proches des Ballets russes, Roland capte l'esprit de Diaghilev : pour un ballet réussi, il ne suffit pas d'un chorégraphe qui a du style. Il faut une conjonction de talents : compositeur, librettiste, peintre, décorateur, couturier. Roland ne craint personne. Veut-il des costumes de Picasso qu'il sonne à l'atelier du «monstre» rue des Grands-Augustins. Il a 19 ans, Picasso lui habille Guernica, duo avec Ethéry Pagava : espadrilles, manches retroussées et pantalon noir. Jusqu'au bout, Roland Petit saura choisir ses complices : Anouilh (Les Demoiselles de la nuit, pour Margot Fonteyn), Cocteau (Le Jeune Homme et la Mort, pour Jean Babilée), Prévert, Kosma, Brassaï et Picasso (Le Rendez-vous), Martial Raysse et Marius Constant (Paradis perdu, avec Margot Fonteyn et Rudolf Noureev), Yves Saint Laurent et Maurice Jarre (Notre-Dame de Paris, pour Claire Motte et Cyril Atanassov), Pink Floyd, David Hockney (Septentrion) Edmonde Charles-Roux (Le Guépard, pour Nicolas Le Riche), Gabriel Yared et Jean-Michel Wilmotte (Clavigo).
À 21 ans, Roland Petit crée les Ballets des Champs-Elysées. Il n'a pas de subvention, mais croit en son étoile. Les chefs-d'œuvre se succèdent : Les Forains, Le Jeune Homme et la Mort, sur un argument de Cocteau, Carmen, en 1949.

Il renouvelle le genre du music-hall

Une muse nommée Zizi. Carmen, c'est Zizi Jeanmaire, d'un an son aînée, amie d'enfance rencontrée à l'École de danse de l'Opéra de Paris. Jambes qui n'en finissent pas, tempérament unique au monde et, comme lui, une bête de scène. «Zizi est une locomotive à laquelle j'accroche tous mes ballets», dit-il. Grisés par le succès, ils tentent leur chance à Hollywood. Zizi tourne la tête de Howard Hugues et enchaîne les films, Roland chorégraphie, ils se brouillent. Max Ophuls propose à Zizi le rôle de Lola Montès, qu'elle refuse, n'ayant plus goût à rien. Lui reste en Amérique, chorégraphie Daddy Long Legs, pour Fred Astaire, idole de toujours, et Leslie Caron. «Un matin, très tôt, le téléphone a sonné. C'était Zizi ! “Où es-tu ? À l'aéroport. Qu'est-ce que tu fais à Los Angeles ? Ton prochain film ? Non, je viens te voir.” Nos retrouvailles ont été fulgurantes. Quelque temps plus tard, on se mariait .»
Zizi donne à Roland une fille, Valentine, et lui ouvre les portes du music-hall. Car Zizi danse, joue et chante : La Croqueuse de diamants, écrit par Queneau, Mon truc en plumes, de Jean Constantin, Béart, Nougaro, Gainsbourg, Ferrat…
Roland monte pour elle des shows à Broadway, à l'Alhambra, puis des revues au Casino de Paris qu'il rachète en 1970, en même temps qu'il accepte la direction du Ballet de l'Opéra de Paris. Six mois après, il en démissionnera, tandis que l'expérience du Casino de Paris durera jusqu'en 1975. Erté, César, Vasarely signent les décors de la première revue dans laquelle Roland renouvelle brillamment le genre vieilli du music-hall : «C'est mon violon d'Ingres. C'est ce que j'aime : ça brille et ça bouge. Je ne suis pas un intellectuel. Je suis quelqu'un qui veut faire quelque chose qui lui plaît et le faire partager de préférence avec beaucoup de gens», dit Roland lorsqu'on reproche au chorégraphe classique de perdre son temps dans un genre mineur.

«La chorégraphie se fait à deux»

Vingt-six ans à Marseille. En 1972, grâce à l'appui de Gaston Deferre, il crée le Ballet national de Marseille, pourvue en 1992 d'une École nationale de danse. Il a ses danseurs, excellents (Dominique Khalfouni, Denys Ganio, Luigi Bonino, Jean-Charles Verchère, Jean-Pierre Aviotte…), une liberté totale et, pour la première fois de sa vie, des subventions. Les géants de la danse qui lui tiennent lieu d'oxygène, affluent à Marseille : ce n'est plus Margot Fonteyn et Rudolf Noureev, mais Barychnikov, Loipa Arauzo, Patrick Dupond, Alessandra Ferri…
«Dans un ballet, le chorégraphe et les danseurs, c'est fifty-fifty. Un chorégraphe talentueux face à un interprète qui ne comprend rien ne peut rien faire, et réciproquement. La chorégraphie se fait à deux comme l'amour», dit-il. Et aussi : «J'aime aller dans une compagnie, prendre un inconnu au fond du corps de ballet et le lancer sur le devant de la scène. Être le magicien qui fait sortir un talent de l'ombre.» Si Roland ne se trompe guère, ce genre de relations à la Pygmalion s'achève généralement par des brouilles. En 1998, lorsque Marie-Claude Pietragalla, qu'il a adulée à l'Opéra de Paris, est nommée à la succession de Roland Petit à Marseille, celui-ci retire tous ses ballets, laissant du jour au lendemain la compagnie sans répertoire.
Quitter Marseille bouleverse Roland. Il vend sa maison sur les calanques, son appartement dans le VIIe arrondissement de Paris pour s'installer sur les bords du lac de Genève : «Pas pour des raisons fiscales, mais parce que c'est cosy», assurait-il. Jean-Michel Wilmotte lui construit une maison avec un studio de danse, bientôt remplacé par un appartement. De là, il s'envole pour l'Opéra de Paris, la Scala de Milan, le Bolchoï de Moscou, le Ballet de Pékin, comme toujours à l'affût de la scène (il fera sa dernière tournée mondiale dans Les Chemins de la création, à 80 ans), de grands danseurs, de nouveaux ballets et de frissons subtils et musicaux : «C'est fait avec rien, ce rien qui est tout. Pour moi, c'est cela, la chorégraphie.»
Dimanche, réagissant à sa mort, le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand a salué «l'un des chorégraphes majeurs du XXe siècle».

Aucun commentaire: